Dix ans après, Kool Shen et JoeyStarr reprennent le micro. Des retrouvailles inattendues mais tendues… Et de bonnes affaires en perspective !
C’est le temps éclair qu’il a fallu à NTM pour écouler les plus de 30 000 places de ses deux concerts des 8 et 9 mars à l’AccorHotels Arena. Un carton plein pour des retrouvailles sous le signe d’un anniversaire qui ne rajeunira personne : les trente ans de la création du groupe. Si les fans de la première heure et ceux qui ont pris le train en route sont ravis d’aller transpirer sur des titres loin d’être oubliés, les plus sceptiques ont de quoi s’interroger quant à la véritable motivation derrière ces concerts. Pas d’album en prévision, des dates qui tombent au compte-gouttes, une entente entre les membres du groupe plus que relative… Il semble que le duo JoeyStarr-Kool Shen ait été attiré par la douce mélodie de la monnaie qui tombe dans la caisse. Jackpot.
Outre les 45 000 billets vendus de 60 à 76 euros la place rien que pour Paris – une troisième date s’est ajoutée entre-temps –, le duo a préparé le terrain avec une ligne de vêtements créée pour l’occasion, dont certaines pièces sont en rupture de stock depuis des semaines. Quelques jours avant le premier concert, une boutique éphémère à Paris a ouvert pour écouler ces objets collectors comme des pots de Nutella en promotion chez Intermarché. Sans compter les milliers de souvenirs qui se vendront dans les couloirs de Bercy, sachant que la marge bénéficiaire sur un tee-shirt en merchandising est de plus de 400 %. Difficile pourtant de croire à ce plan marketing à la lecture du livre-confessions de JoeyStarr, « Le monde de demain » : « A-t-on le droit d’imprimer un tee-shirt NTM ? En faisant ça, en le vendant à nos concerts, n’étions-nous pas en train de laisser tomber la musique pour devenir d’affreux marchands de tapis ? » Le duo a fait du chemin…
A sa création, NTM, comme n’importe quel groupe qui débute, gagne des clopinettes. Cachet à zéro, 300 francs pour une première partie à La Cigale… Les choses évoluent quand ils signent chez Sony en 1990. Chacun touche d’entrée 20 000 francs (environ 3000 euros d’aujourd’hui). JoeyStarr, qui ne possède même pas de compte en banque où poser son argent, a envie de partir avec la caisse. Il est retenu par Kool Shen, plus pragmatique. Pendant dix ans, chaque membre touche 700 francs (160 euros) par concert, chiffre qui peut être gonflé en fonction des occasions : NTM prend notamment 40 000 francs pour faire la première partie de Wu-Tang Clan lors d’un festival en 1997. Ensuite, tout roule : « Paris sous les bombes » se vend à plus de 400 000 exemplaires, « Suprême NTM » bat tous les records (environ 800 000 albums vendus à ce jour, c’est l’album le plus streamé du groupe), squattant le Top 10 France pendant onze semaines, détrônant la bande originale de « Titanic ». « J’avais l’air d’un Antillais qui avait gagné au Loto avec ma grosse Mercedes, mes dents en or et mes bagouzes partout. Je n’avais pas de projet, ça m’est tombé dessus comme ça. J’étais comme un politique à qui on donne le pouvoir, il le veut, mais une fois qu’il l’a, il ne sait plus quoi en faire », a raconté bien plus tard JoeyStarr sur « Le divan » de Marc-Olivier Fogiel.
JoeyStarr, qui brûle la vie par les deux bouts, multiplie les projets pour rembourser ce qu’il doit
Sauf que ça ne dure pas… Le jaguar enchaîne les frasques, les amendes pleuvent pour diverses violences, le procès de l’hôtesse de l’air lui coûte en image et en cash : il débourse près de 2 millions de francs à l’époque, pas assez semble-t-il… L’avocat de la plaignante assure qu’il lui doit encore 40 000 euros, ce qui lui vaut, mi-2017, la visite surprise à son domicile d’un huissier de justice accompagné de plusieurs policiers.
Après leur séparation houleuse, Didier Morville et Bruno Lopes se lancent dans différents projets. Outre une carrière solo, Kool Shen crée IV My People, label de musique géré pendant neuf ans d’une main de maître. Les finances sont au vert, la société génère un chiffre d’affaires de près de 4 millions d’euros. Mais un mauvais investissement le contraint à revendre la boutique avant que le navire ne prenne l’eau. Heureusement, sa passion pour le poker, qu’il pratique à haut niveau, va lui rapporter plusieurs dizaines de milliers d’euros par soir, et ses projets cinématographiques en tant qu’acteur se succèdent.
De son côté, JoeyStarr joue de malchance. Il lance aussi un label, B.O.S.S, avec Sébastien Farran, son manager (Kool Shen n’a pas fait appel à lui, préférant laisser la gestion de son patrimoine à sa mère). Le jour où leur amitié vole en éclats, c’est la douche froide. « Comme dans toute séparation, il y a eu des mots. Et puis arrivent les chiffres. Et c’est sans appel », écrit-il dans « Le monde de demain ». Retard de paiement sur les impôts, impayés sur les loyers, cachets perdus dans la nature… « A l’approche de mon demi-siècle, je constate que je n’ai rien. Rien en banque. Pas la moindre possession, ni appartement parisien, ni maison de campagne, aucune sécurité, rien », constate Joey. Concernant B.O.S.S, le tableau n’est pas brillant : l’argent gagné a été utilisé par le manager pour financer d’autres productions, les ventes des derniers disques ne sont pas celles attendues. En 2007, la société est placée en liquidation judiciaire.
Un an plus tard, le groupe tente une reformation pour cinq dates à Bercy à guichets fermés et sur d’autres grandes scènes de France. Début 2009, manque de bol, JoeyStarr est condamné à six mois de prison. Le duo est contraint d’annuler ses dates estivales. « Cela a coûté très cher. Les assurances ne prennent rien en charge dans ces cas-là. […] J’ai fait des concerts en solo gratuitement pour juste payer les pénalités d’annulation, et encore cela n’a pas tout remboursé », raconte Bruno Lopes au « Parisien » en 2009.
JoeyStarr, qui brûle la vie par les deux bouts, multiplie les projets pour rembourser ce qu’il doit et payer les pensions alimentaires de ses deux enfants : « Nouvelle star » (les jurés gagnent en moyenne 250 000 euros), albums solos, partenariat avec des marques, cinéma, e-shop. Il touche aussi les droits d’auteur sur ses titres et sur le streaming, NTM comptabilisant 30 millions de streams rien que sur Spotify. Accro au live, il se produit régulièrement dans des petites salles pour une bouchée de pain. Kool Shen, a, lui, été quasi invisible en concert depuis trois ans. Mais en 2018, il a su se faire violence. Preuve que l’homme d’affaires avisé a une nouvelle fois eu du pif…
NTM: Leur nouvelle reformation est-elle opportune ?
Suprême NTM, ou simplement NTM, est un groupe de hip-hop français, originaire du département de la Seine-Saint-Denis. Composé principalement de deux rappeurs, JoeyStarr (Didier Morville) et Kool Shen (Bruno Lopes), le groupe marque les débuts du rap des années 1990 en France. Formé en 1988 et dissout en 1998, le groupe se reforme en 2008 sans annoncer de nouvel album et pour une tournée nationale.
Les deux rappeurs JoeyStarr et Kool Shen revendiquent leurs origines banlieusardes du département 93, c'est-à-dire, de jeunes ayant vécu et survécu dans un milieu défavorisé. Ainsi, le groupe s'appelle à ses débuts : 93 NTM, identité représentative de leurs origines. Si NTM est connu avant 1998 pour son hostilité à l'égard de la police, des paroles virulentes2, et une bataille juridique avec les autorités françaises, il est aussi connu pour ses paroles ouvertement critiques sur le racisme et les inégalités de classe dans la société française, et qui portent un constat d'urgence sur l'état des banlieues.
Dans ce groupe voulu « réaliste » ou « authentique » par ses auteurs, le contraste entre les styles est marqué : alors que JoeyStarr a un flow relativement lent, des paroles agressives, des textes plutôt engagés, une voix profonde, résonnante et éraillée, Kool Shen possède un flow plus lyrique, des paroles plus mélancoliques et poétiques. Leur style musical évolue entre celui d'un rap hardcore et celui d'un rap conscient tout en passant par celui d'un rap « festif » comme dans le single La fièvre ou Pass pass le oinj, qui ont contribué à faire connaître le groupe. Certains albums ont clairement des influences funk, soul et reggae. Au total, six albums ont été publiés par Sony Music Entertainment sous le label Epic Records.
En 1998, le groupe sort son dernier album, Suprême NTM, sous le label NTM : ce disque, contenant le morceau Laisse pas traîner ton fils, connaît un grand succès commercial avec plus d'un million de disques vendus. JoeyStarr et Kool Shen lancent alors chacun leurs propres labels, faisant la promotion de nouveaux groupes et créant de nouvelles branches dans d'autres domaines tels que l'industrie du vêtement (2 High est la marque de Kool Shen, Com8 celle de JoeyStarr). Alors que le groupe existait encore officiellement, la notoriété de son nom a été utilisée en 2001, pour promouvoir un duel mettant en scène les deux labels des artistes l'un contre l'autre. Malgré la déclaration de Kool Shen en 2004 : « on en a fini avec NTM en 98 », le groupe se reforme le temps d'un succès d'une tournée nationale en 2008. À Bercy, les trois premiers concerts tournent à guichets fermés, confirmant le succès de retrouvailles attendues par les fans.